dans le matérialisme religieux ambiant, quelle présence pour la sainteté ?
Chez ceux pour qui le terme a encore quelque résonance surgira d’évidence la question :
plus le remède doit être souverain.
« La philosophie est sans réponse, disait l’écrivain roumain Cioran. Face à elle, la sainteté est une science exacte.
car elle est consubstantielle à notre humanité.
Pour l’islam, tout être humain est par nature potentiellement un saint, puisqu’il naît consacré,
équivalent du français « sainteté ».
Le soufisme dégageait, à côté de cette « sainteté générale », une « sainteté particulière »,
Mais où sont les saints ? Ne trouve-t-on pas dans un hadîth qudsi (Parole divine, qui ne fait pas partie du texte coranique) : « Mes saints sont abrités sous Mes coupoles ; nul autre que Moi ne les connaît » ? Et un cheikh du XIIIe siècle ne disait-il pas qu’il est plus difficile de connaitre le saint que de connaitre Dieu ? Le saint, de fait, est dans la transparence ontologique.
Que nous vivions une époque de « ténèbres » ou non importe peu en définitive, car Dieu compense : il est bien connu que c’est au plus fort des ténèbres que jaillit la lumière et, certes, c’est dans le désert que l’absolu s’impose souverainement. Dans notre nouvel espace-temps caractérisé par l’immédiateté, l’instantanéité et la simultanéité, Dieu n’a sans doute jamais été aussi immanent.
Vivons-nous dans le « dernier tiers de la nuit » au cours duquel, selon une parole du Prophète, Dieu descend jusqu’à ce bas-monde ? La nuit symbolise, bien sûr, la durée de vie du cosmos et de l’humanité. Pour Ibn ‘Arabî comme pour l’émir Abdelkader (Kitâb al-Mawâqif, Damas, 1963, II, 919), Dieu est plus proche de nous durant cette période et, par voie de conséquence, la science spirituelle de la communauté muhammadienne y serait plus accomplie qu’elle ne l’a jamais été.
Et l’humanité ne vit-elle pas de nos jours des défis tels qu’ils devraient l’amener à réaliser un surcroit de conscience ? C’est une question de vie ou de mort. « Si les sages sont (actuellement) des exceptions, dans le futur le processus de la réalisation spirituelle de l’homme se généralisera : ‘‘La terre sera l’héritage de Mes serviteurs saints’’ (Coran, s. 21, v. 105). »*
Note
* Cheikh Bentounès, L’Homme intérieur à la lumière du Coran, Albin Michel, 1998, p. 98.
Président de la Fondation Conscience soufie, Éric Geoffroy est islamologue, spécialiste du soufisme, professeur à l‘université de Strasbourg. Il travaille également sur les enjeux de la spiritualité dans le monde contemporain. Auteur d’une douzaine d’ouvrages, il a notamment publié L’islam sera spirituel ou ne sera plus (Le Seuil, 2016) ; Un éblouissement sans fin – La poésie dans le soufisme (Le Seuil, 2014) ; Le Soufisme (Eyrolles, 2013).